Projet en cours.
Ce projet vit le jour suite à un petit jeu auquel je me suis livré en avril 2015. J’ai d’abord remarqué par hasard que les motifs d’un napperon brodé de ma grand mère (l’incontournable de tout intérieur traditionnel kitch) présentait des similitudes avec certains motifs de l’art Islamique. Un rapprochement intéressant, surtout en ce début 2015 ou les idées de replis identitaires et de choc des civilisations gangrenaient le débat public.
Le jeu en question a alors consisté à rechercher d’autres ressemblances visuelles entre les arts et artisanats Islamiques et Bretons. Voilà ce que ça a donné :
Je pense que si c’était un vrai jeu j’aurais gagné des points ! Mais ce n’était pas le cas donc ça n’avait pas grand intérêt. Je me suis alors souvenu de l’association des musulmans du Pays de Morlaix. Pour résumer leur situation, après avoir loué un bâtiment industriel désaffecté, ils venaient d’acquérir un ancien garage à poids lourds pour y aménager un lieu de prière et de vie associative. Avant cela, le projet d’acquisition d’un autre bâtiment a échoué pour cause de normes de sécurité mais a quand même eu le temps d’inspirer la rédaction d’une lettre prévenant le voisinage de « l’arrivée des barbus et des voilées » avec une telle verve que l’auteur en a oublié de signer. Fin 2014, de la charcuterie est accrochée sur les locaux en travaux de l’association, peut-être par la même courageuse personne, ce jour-ci d’inspiration performance d’art contemporain ?
En tout cas, quelques mois plus tard, ce fut comme si les gens partageant les mêmes idées étriquées de cet activiste de la saucisse pouvaient désormais les exposer sans retenue dans des éditoriaux ou de simples discussions quotidiennes, appelant à se dresser enfin contre l’idéologie responsable des attentats alors qu’ils partagent avec celle-ci le même repli identitaire, la même intolérance, ainsi qu’une certaine vision complotiste paranoïaque de la société.
Tel était donc le contexte, lorsque j’entrevis de l’art Islamique dans le napperon de ma grand mère (vraiment par hasard) et que je me livrais ensuite au jeu des 7 ressemblances, plus original et sain en cette période que celui des 7 différences.
En tant que graphiste décorateur originaire de Morlaix, je trouvais donc intéressant de proposer à l’association une décoration autour de ce concept pour rattraper un peu le niveau de mes compères artistes morlaisiens en manque d’inspiration. Contrairement à ces derniers, il s’agissait alors de ne pas se fier aux plus bas instincts grégaires et puérils de l’homme qui peuvent s’immiscer dans l’esprit de chacun par la petite porte et conduire à penser par exemple que la culture bretonne se résume à manger du porc et boire de l’alcool alors que l’Islam consiste simplement à interdire porc et alcool mais à imposer le port du voile. Il est plus fatigant, mais généralement plus productif, de se fier à des idées plus construites intellectuellement et à une conception des cultures islamiques, bretonnes et françaises plus riches, complexes, vivantes et donc toujours en mouvement. D’où l’idée de les orienter dans le bon sens, à notre modeste niveau, en soufflant dessus, plutôt qu’essayer d’en prendre un pour taper sur l’autre.
C’est avec cet état d’esprit, et l’image ci-dessus en pièce jointe, que je sollicitais l’association Ti Salam Montroulez, et c’est avec cet état d’esprit qu’ils acceptèrent. Car oui, j’oubliai de le préciser, le nom de l’association signifie maison de la paix de Morlaix en arabo-breton (2 mots sur 3 en breton). Comme si mon concept et mon image n’étaient que l’illustration de leur nom. Ce projet de peinture a donc pu se concrétiser tout naturellement.
Le pari était de décorer les murs uniquement avec des motifs et des couleurs issus directement des artisanats bretons, tout en respectant les règles et traditions de l’art Islamique. Car si ces deux cultures artistiques sont compatibles, elles peuvent surtout s’enrichir mutuellement, comme elles l’ont fait au fil des siècles au contact d’autres cultures. Sinon, il ne s’agirait pas de cultures mais d’un ensemble de clichés folkloriques.
En plus de recouvrir les murs d’une symbolisation graphique d’une symbiose culturelle, l’acte même de proposer d’embellir des lieux jusque là simplement fonctionnels du fait des limites financières, est un acte, venant d’un breton non musulman, symboliquement fort et apaisant.
De plus, les membres de l’association étant originaires de pays aux cultures très différentes (Comores, Maghreb, Sénégal, Royaume Uni…), les deux références de la décoration ont l’avantage d’être partagées par tous. Ils ont en effet en commun d’habiter tous en Bretagne, pour beaucoup depuis plus longtemps que moi (je n’ai que 26 ans) et d’être sensible à des formes différentes de l’art Islamique, propres aux cultures de leur pays d’origine mais partageant les mêmes codes esthétiques communs, ceux là même que j’ai appliqués aux motifs bretons.
Parmi ces caractéristiques de base qui font la particularité et l’intérêt des arts de l’Islam, il y a bien sur un attrait pour la perfection géométrique, les répétitions hypnotiques, les jeux calligraphiques, mais aussi une capacité à épouser les styles préexistants et à évoluer avec. Opter pour une décoration inspirée des traditions d’un certain pays exclurait forcément les fidèles originaires d’autres pays et pourrait également insinuer que le vrai Islam ne se trouve que dans ces pays traditionnellement musulmans et qu’on ne peut donc être un musulman accompli en France ou en Bretagne. Or nous savons maintenant combien cette idée peut s’avérer néfaste notamment pour les jeunes aux problèmes d’identification identitaire, autant que pour ceux en quête de racines arabo-musulmanes que franco-françaises ou celtico-bretonnes.
Trêve de considérations sociétales et symboliques et de cette introduction qui n’en fini pas…
Concrètement, j’ai utilisé directement des napperons appartenant à des tantes, à ma grand mère ou trouvés chez des chiffonniers que j’ai tendus et solidifiés pour en faire des pochoirs. Les motifs obtenus ainsi, en négatif, ressemblent à de la mosaïque : les fils de broderie deviennent les joints blancs entre les faïences polygonales colorées, formées par les espaces vides entre les fils tendus. Plus précisément, les motifs toujours concentriques et hypnotiques des napperons ressemblent à la mosaïque traditionnelle marocaine, le zellige. Les motifs créés avec ces napperons répondent en tout cas aux caractéristiques du zellige qui en font un style particulièrement adapté aux mosquées (cf. Wikipedia):
« L’harmonie se résume à l’unité dans la multiplicité (al-wahda fil-kuthra), ce précepte servant de base pour la croyance monothéiste ou pour l’art abstrait musulman. L’art du zellige se traduisant par une répétition à l’infini de formes géométriques incitent ainsi à la méditation. Le rendu hypnotique de ses motifs fait écho à la grandeur infinie de Dieu. L’art du zellige se conforme et reflète chacun des principes de la foi. »
« Cette œuvre universelle s’adresse à tous, sans distinction de langue ou de culture. Il ne s’agit pas de raconter une histoire, ni d’exprimer des sentiments, ni d’imiter la nature. »
Cependant, le but n’est pas d’essayer de copier le style du zellige mais de s’en inspirer pour créer une forme nouvelle, par exemple avec des dégradés qui accentuent l’effet hypnotique des zelliges mais impossibles à faire en faïence. Il est aussi à noter que j’ai choisi les motifs, je les ai arrangés entre eux et mis en couleur, mais je n’ai pas créé les motifs. Les motifs ont été créés surtout par des femmes du coin, qui ont brodé ces napperons avec patience et dextérité dans leur temps libre, avec l’intention d’apporter un peu de beau, de « chic » à leur foyer. C’est cette intention que je veux retranscrire en utilisant ces napperons comme pochoirs, car cette intention est noble et proche de celle des artisans qui décorent leur mosquée parce que « Dieu est beau et aime la beauté ».
Pour l’instant, deux salles de cours et un couloir ont été peints. Les locaux sont toujours en chantier donc ce projet devrait se poursuivre dans d’autres salles, inch’Allah…